Voie de résilience n°10 : Manger plus végétal
L'évolution des pratiques de consommation est indispensable à la transformation des systèmes de production. Face aux contraintes croissantes sur les rendements des productions végétales, réduire la consommation de produits animaux permet un usage beaucoup plus efficace des ressources d’un territoire. Les filières d’élevage industriel doivent évoluer vers des productions de qualité et de faibles volumes. Il est également nécessaire de remettre au cœur de notre régime les produits peu ou pas transformés, et de combattre le gaspillage alimentaire.
État des lieux
Un régime intensif en ressources
La récente transition alimentaire
L’alimentation humaine est le fruit d’une évolution complexe faisant intervenir de nombreux facteurs techniques, politiques, culturels et religieux. Les pratiques alimentaires évoluent donc constamment au gré du déploiement de nouvelles techniques agricoles, de la domestication de nouvelles espèces, d’interdits d’ordre moral ou religieux, ou – plus récemment – de l’influence du secteur agroalimentaire.
Historiquement, les grandes sociétés agraires se sont bâties sur l’association d’une céréale (blé, riz, maïs) et d’une légumineuse (lentille, fève, haricot) dans leur régime alimentaire. Cette caractéristique commune ne relève ni du hasard ni d’un choix réfléchi, mais d’un processus de sélection. Ce type de régime fournit en effet la base d’un apport nutritionnel équilibré, tout en limitant les ressources nécessaires pour y parvenir (travail, surfaces de terres, fertilité des sols). Jusqu'au début du XXe siècle, le régime alimentaire des français ne faisait pas exception à cette règle : il reposait très principalement sur le pain (blé et seigle), les légumes secs (lentilles, fèves) et la pomme de terre.
Avec les gains de productivité et l’industrialisation naissante du système alimentaire l'alimentation s'est progressivement enrichie et diversifiée :la ration calorique moyenne est passée de 1 800 kcal par jour en 1800 à 3 200 kcal en 1900, libérant les français des risques de disettes et de famines.
Les fruits et les légumes ont vu leur consommation par habitant quadrupler entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XXe siècle.
Puis, depuis le milieu du XXe siècle, la révolution verte et l’essor du modèle agro-industriel ont métamorphosé notre régime alimentaire :
- Des aliments historiquement réservés aux élites, tels que le sucre, le café ou le cacao, se sont démocratisés ;
- La consommation par habitant de viande, de poisson et plus généralement de produits d’origine animale, a connu une hausse spectaculaire, en particulier à partir des années 1930 (Figure 32).
Figure 32 : Évolution de la consommation de viande par habitant en France depuis deux siècles. Source : Les Greniers d’Abondance, d’après, pour les années 1800 à 1964, Toutaint J-C. (1971) et pour les années 1970 à 2018, FranceAgriMer (2018).
Depuis une dizaine d’années, l’espérance de vie en bonne santé stagne autour de 63 ans. À l'échelle mondiale, près de 1,9 milliards d’adultes sont en surpoids, et 650 millions sont obèses. On compte aujourd’hui davantage de morts liées au surpoids qu’à la sous-alimentation. En France, le taux d’obésité est passé de 6,5 % en 1991 à 15 % en 2012 chez les adultes, et près de la moitié sont en surpoids. La consommation croissante de produits ultra-transformés, souvent riches en sucre et en graisses, est un facteur de risque. Ces aliments représentent aujourd’hui entre le quart et la moitié de la ration calorique dans les pays industrialisés.
Un régime peu efficace
Outre ses impacts délétères sur la santé publique, notre régime alimentaire est très peu efficace. En particulier, la production d’aliments d’origine animale accapare une grande partie des ressources par rapport à sa contribution à notre alimentation. La production de viande, de lait et d’oeufs mobilise 85 % des surfaces agricoles nécessaires à notre alimentation (Figure 33). Ces surfaces se composent pour moitié de prairies permanentes non valorisables autrement que par l’élevage de ruminants, et pour moitié de prairies temporaires, de cultures fourragères, de céréales ou d’oléoprotéagineux qui entrent en compétition avec d’autres cultures dans l’allocation des terres arables.
Figure 33 : Comparaison des empreintes « surface » et « carbone » du régime actuel (80 g de protéines par jour dont un tiers végétales) et d’un régime moins riche en protéines et en produits animaux (60 g de protéines par jour dont deux tiers végétales). L’OMS recommande une consommation moyenne de 50 g de protéines par jour. Source : Les Greniers d’Abondance, d’après Solagro (2019).
Au total en France, 60 % de la production céréalière qui n’est pas exportée est utilisée pour l’alimentation animale (Figure 34).
Les animaux d’élevage valorisent certains sous-produits agricoles, comme les tourteaux d’oléagineux, le son des céréales ou la pulpe de betteraves. Ils restituent cependant bien moins de calories (et de protéines, dans la plupart des cas) à l’homme sous forme de viande, de laitages ou d’oeufs, que ce qui pourrait être directement utilisé pour nous nourrir dans les céréales allouées à leur alimentation. En cas de contraintes sur la production végétale globale, la compétition entre alimentation humaine et alimentation animale se trouverait accentuée.
Figure 34 : La production céréalière française et ses usages. Les chiffres sont en millions de tonnes (Mt) de grains ou d’équivalent grains (pour les produits transformés). Les utilisations autres comprennent les semences, l’industrie, les pertes, etc. Source : Les Greniers d’Abondance, d’après Passion Céréales (2018).
Par ailleurs, l’élevage est à l’origine de près de 90 % des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture (Figure 33) et son intensification récente pose de nombreux problèmes de pollution des milieux aquatiques par les nitrates et les phosphates, de souffrance animale et humaine, et de sécurité sanitaire.
L'élevage industriel est aujourd'hui très largement majoritaire en France :
- 99 % des 52 millions de dindes abattues chaque année sont élevées sans accès à l’extérieur ;
- 75 % des 49 millions de poules pondeuses sont élevées en batterie de cages (code 3 sur les oeufs) ou sans accès à l’extérieur (code 2) ;
- 99 % des 30 millions de lapins sont élevés en batterie de cages ;
- 95 % des 24 millions de cochons abattus chaque année sont élevés sur caillebotis en bâtiments.
Ce sont aujourd'hui environ huit animaux sur dix qui ont passé leur vie dans des bâtiments de haute densité, sans accès à l’extérieur.
Ces pratiques sont à l’origine d’une souffrance animale à grande échelle. Les éleveurs et les salariés des abattoirs subissent eux aussi une souffrance chronique, plus ou moins refoulée, face aux injonctions productivistes de l’agro-industrie. Le modèle d'élevage industriel augmente la dépendance à des facteurs de production extérieurs (alimentation animale, équipements complexes, énergie) et l’endettement des agriculteurs. Il rompt avec l'élevage traditionnel qui permettait d’optimiser les ressources et les performances agronomiques des fermes. En plus d’être condamné par la majorité de la société, l’élevage industriel s’avère très peu résilient dans un contexte de perturbations climatiques, biologiques, énergétiques et économiques variées et imprévisibles.
Élevage intensif de poulets de chair en Vendée. En France, l'élevage industriel est très majoritaire.Crédits : © L214.
Quels liens avec la résilience ?
Menaces associées : changement climatique, effondrement de la biodiversité sauvage et cultivée, dégradation et artificialisation des sols, épuisement des ressources énergétiques et minières
La plupart des menaces décrites dans ce rapport et leurs effets conjugués vont avoir des conséquences négatives sur les rendements agricoles. Si le développement de l’agroécologie, la sélection de variétés adaptées ou le recyclage des nutriments peuvent compenser partiellement ce déclin, une baisse contrainte et graduelle de la production des cultures est malgré tout prévisible. De plus, le risque de crises agricoles exceptionnelles réduisant brutalement la production est amené à augmenter.
Dans ce contexte de contraction globale de la production, des arbitrages devront être faits entre alimentation animale et humaine. Les élevages spécialisés – dont la situation économique est déjà la plupart du temps difficile – seront vraisemblablement les exploitations agricoles les plus vulnérables.
L’anticipation de ces évolutions par une modification du régime alimentaire permet de diminuer les besoins globaux de production végétale. Elle permet également d’aborder le sujet avec les éleveurs et de mettre en place des dispositifs de soutien et d’accompagnement vers d’autres pratiques et d’autres productions.
Objectifs
Nous devons prendre en compte dès à présent les baisses de rendement prévisibles consécutives au changement climatique, à l’effondrement de la biodiversité, à la dégradation des sols et à la raréfaction des engrais minéraux. Répondre à nos besoins avec une production agricole en baisse est possible : cela demande en particulier d’affecter en priorité la production agricole à des aliments consommables par les hommes plutôt qu’aux animaux d’élevage.
Adapter durablement nos systèmes alimentaires nécessite d’agir à la fois sur l’offre (production), et sur la demande (consommation) afin d’éviter des effets de reports (exportations ou importations). Les transformations à mener jouent sur les deux tableaux :
- Mettre fin aux élevages industriels et réorienter la filière vers des productions de qualité et de plus faibles volumes (comme ce fut le cas par exemple pour la production viticole) qui se concentrent sur les prairies et les sous-produits de la transformation ;
- Remplacer la majorité des protéines animales de notre alimentation par des protéines végétales. Un régime permettant d’optimiser la consommation de ressources tout en satisfaisant les recommandations nutritionnelles de l'OMS, reviendrait en France selon les études à réduire de 50 à 80 % les protéines d’origine animale dans notre alimentation, et à les remplacer par des protéines végétales, ;
- Limiter au maximum la part d’aliments consommables par les hommes dans les rations animales ;
- Privilégier la consommation de produits locaux, de saison, et peu transformés.
Leviers d’action
Concernant la consommation alimentaire, les principaux leviers d’action des collectivités se situent au niveau de la restauration collective. Elles peuvent se servir de cette compétence pour sensibiliser plus largement les usagers et la population aux régimes alimentaires économes en ressources et pour structurer des filières de valorisation des productions locales.
LEVIER 1 : Restauration collective : place aux protéines végétales !
- Réduire fortement la proportion de protéines animales dans les assiettes, au delà des obligations réglementaires, et restreindre les aliments d’origine animale aux produits issus d’élevages extensifs, si possible sous label. En plus d’augmenter le nombre de menus végétariens – ce à quoi sont favorables une large majorité des français – il est aussi possible de revoir à la baisse les portions de produits animaux dans les menus non végétariens. Une baisse de 75 % des produits d’origine animale est ainsi atteignable en ne « supprimant » qu’un ou deux repas avec viande par semaine ;
- Remplacer ces protéines d’origine animale par des légumineuses et des céréales complètes, dont l’association permet un apport protéique équilibré.
- Former les cuisiniers et responsables de cantines. Mettre en réseau les cuisines en transition, et dispenser des formations à la cuisine végétarienne et végétalienne.
À Saint-Marcel (Drôme), les équipes des cantines de Valence Romans Agglo suivent une formation sur l’apport de protéines végétales et l’introduction de plats végétariens. La cuisine centrale de Valence Romans Agglo prépare chaque jour 5 000 repas servis dans 56 restaurants scolaires de l'agglomération. Tous les jours, un menu standard et un menu végétarien sont proposés aux convives. Crédits : © Valence Romans Agglo.
LEVIER 2 : Restauration collective : privilégier les produits locaux et de qualité
- Fixer des objectifs ambitieux dépassant les obligations réglementaires ;
- Adhérer à un réseau de cantines bio et locales, tel que le Club des Territoires créé en 2013 par l’association Un Plus Bio. Il réunit en France les collectivités motrices en matière d'alimentation durable dans les politiques publiques de l’alimentation. Des rencontres nationales et régionales sont régulièrement organisées ;
- Dans les marchés publics, utiliser les outils juridiques disponibles pour favoriser les produits locaux.
La Communauté de Commune du Val de Drôme a lancé le programme « Ça bouge dans ma cantine », qui inclut un travail sur l’approvisionnement et la logistique, des formations pour les cuisiniers, des animations pour les enfants, la mise en place de jardins pédagogiques, et des rencontres avec des agriculteurs. 40 des 45 communes de l'intercommunalité sont engagées dans la démarche, et nombre d'entre elles ont fortement augmenté la part du bio et local dans la restauration collective.Crédits : © CCVD.
LEVIER 3 : Restauration collective : diminuer le gaspillage
L'inefficacité de notre régime alimentaire se manifeste aussi dans la quantité de nourriture perdue ou gaspillée, représentant en France environ 20 % de la production potentiellement comestible. Si certaines de ces pertes sont difficilement évitables (accidents ou contaminations lors de étapes de stockage, de transport ou de transformation) la plupart peuvent être réduites, en particulier au niveau de la consommation.
-Diminuer au maximum la part des produits fortement transformés dans les menus ;
-Peser les déchets organiques pour quantifier et suivre l’évolution du gaspillage.
La commune de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) a mené un programme de réduction du gaspillage alimentaire. En quatre ans (2011-2015), les cantines sont passées de 147 grammes jetés par assiette (soit le tiers de la nourriture, moyenne nationale) à environ 30 grammes. Pour parvenir à cette réduction de 80 %, la ville mène un travail de sensibilisation. Chaque jour, les enfants sont invités à trier eux-mêmes les restes de repas. Les seaux recevant les restes sont alors triés et pesés, et les chiffres enregistrés. Les menus et les commandes sont alors ajustés en conséquence.Crédits : © Mouans-Sartoux.
LEVIER 4 : Sensibiliser le grand public à l’évolution des régimes alimentaires - Programmer des événements de sensibilisation au « fait-maison », à la saisonnalité des produits, aux circuits courts, à l’intérêt des protéines végétales ; - Planifier des portes ouvertes de fermes, notamment celles approvisionnant la restauration collective.
La communauté d’agglomération GrandAngoulême (Charente) organise chaque année les Gastronomades, événement festif consistant à inviter un chef à cuisiner plusieurs milliers de repas mettant à l’honneur les produits du territoire.Crédits : © GrandAngoulême.
Bénéfices associés
Une moindre consommation de protéines d'origine animale et de produits ultra-transformés apporte d'importants bénéfices en terme de santé publique.
La libération des terres auparavant destinées à l'alimentation animale permet de développer des pratiques extensives sans contraindre la disponibilité finale en nourriture (voir voie de résilience n°7) : prairies permanentes, bocages, pré-vergers. Cette évolution permettrait également de diminuer considérablement les émissions de gaz à effet de serre liées à l’alimentation.
Enfin, la fin de l'élevage industriel permettrait de mettre un terme à la souffrance animale généralisée dont il est aujourd'hui la cause. Les éleveurs sont souvent eux aussi victimes de ce système, et comptent parmi les agriculteurs les plus précaires. Leur réorientation vers des filières de qualité est donc souhaitable à tous points de vue.
Obstacles
Obstacle culturel ?
L’obstacle culturel, fréquemment invoqué pour expliquer la difficulté de diminuer la consommation de viande, semble contredit par une récente enquête menée par l’IFOP. D’après cette étude, 73 % des français interrogés sont favorables à ce que la viande, les oeufs, les laitages et le poisson issus de l’élevage intensif soient exclus de la commande publique (cantines scolaires, restauration collective…), 66 % sont favorables à la mise en place d’une alternative végétarienne quotidienne dans les cantines scolaires de leur commune, et 64 % sont favorables à l’introduction de deux repas végétariens par semaine dans les cantines scolaires de leur commune.
Obstacle nutritionnel ?
L’argument nutritionnel selon lequel un régime moins riche en produits animaux poserait des problèmes de santé est lui aussi souvent rencontré. De nombreuses études montrent cependant qu’en gardant une alimentation équilibrée, diminuer la part de produits animaux est au contraire largement bénéfique pour la santé.
Contestations
Aujourd’hui, les établissements scolaires engagés dans cette transition peuvent être confrontés à des résistances, notamment de parents d’élèves. Même minoritaires, ces contestations doivent être écoutées : il est nécessaire de renforcer l’effort pédagogique, en rassurant notamment sur les questions de santé.
Transition de la filière
En réalité, le principal obstacle ne se situe probablement pas au niveau des choix de consommation mais des problématiques complexes soulevées chez les éleveurs et les industriels de la filière. On peut supposer que les éleveurs soient favorables au passage d’une production industrielle de masse vers une production de qualité de faible volume, moins intensive en intrants et en capitaux, plus valorisante socialement, plus rémunératrice pour les exploitants, et bénéficiant par ailleurs de paiements pour mesures agroenvironnementales. Cette évolution se fait en revanche contre les intérêts des industries de la viande et des produits laitiers. On peut donc s’attendre à des stratégies d’opposition solides étant donnés les moyens considérables dont disposent ces entreprises ou les autres organisations représentant les intérêts de la filière, comme les syndicats agricoles majoritaires. Le milieu scolaire et la restauration collective pourraient ainsi être ciblés, de même que les élu·e·s à l’initiative de ces changements. Notons cependant que l’industrie elle même semble prendre conscience de l’évolution des comportements des consommateurs et commence à adapter sa stratégie de communication en fonction.
Indicateurs
- Indicateurs nationaux de consommation
- Ratio protéines végétales / protéines animales en restauration collective ou fréquence des repas végétariens
- Quantité de déchets produits par les commerces alimentaires, la restauration collective et la restauration commerciale
Pour aller plus loin
Solagro (2019) Le revers de notre assiette. Changer d’alimentation pour préserver notre santé et notre environnement. Un rapport très riche sur les conséquences de nos régimes alimentaires sur l’environnement ou la santé publique. Un panorama des problèmes actuels liés à l’alimentation et des pistes pour aller vers un régime durable. | |
UnPlusBio (2019) Cantines Bio : le guide pratique des élus.UnPlusBio est la première fédération de cantines bio et locales en France. Elle offre de nombreux conseils pour relocaliser la restauration collective et développer des filières d’approvisionnement de qualité. |