Instabilité économique et politique
- 2020-02-01 09:34:30.0
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Le contexte politique et économique a une influence déterminante sur le fonctionnement du système alimentaire. La survenue prochaine d’une crise économique de grande ampleur est un risque à considérer sérieusement. L’ensemble des acteurs du système feraient face à d’importantes difficultés, en particulier les agriculteurs et les ménages les plus pauvres.
En 2008, les crédits immobiliers insolvables de nombreux ménages américains furent à l’origine d’une crise financière de grande ampleur, amplifiée et mondialisée par des mécanismes de spéculation complexes et opaques. S’ensuivit une crise économique mondiale touchant aussi bien les États, les banques et les entreprises, que les ménages. Depuis, divers paramètres expliquant la survenue de cette crise se sont significativement aggravés. Le niveau d’endettement global a augmenté de 50 %, atteignant 320 % du PIB mondial (Figure 9). La baisse des taux d’intérêts a favorisé des investissements plus rémunérateurs mais plus hasardeux, et nombre de ces crédits sont risqués, à l’image des prêts « subprimes » de 2008. La capacité à rembourser cette dette dépend directement du potentiel de croissance de l’économie mondiale, donc des moyens de production, et donc des ressources matérielles et énergétiques pouvant être physiquement mobilisées pour assurer cette production. Les contraintes qui pèsent sur certaines ressources clés – en particulier les énergies fossiles – laissent présager d’importantes difficultés à maintenir cette croissance à un horizon proche.
Dans ce contexte, la survenue d’une crise financière et économique de grande ampleur à court terme apparaît très probable. Dans son rapport d’octobre 2019 sur la stabilité financière globale, le Fonds Monétaire International se montre particulièrement inquiet et considère qu’un ralentissement relativement modéré de la croissance économique mondiale suffirait à rendre près de 40 % de la dette des entreprises privées non solvable.
Figure 9 : Évolution de la dette mondiale depuis 1999. Les contributions des différents acteurs économiques sont indiquées. Le niveau de dette actuel correspond à 320 % du PIB mondial. Source : Les Greniers d’Abondance, d’après les données de l’Institute of International Finance (dette) et de la Banque Mondiale (PIB).
Dégradations de fond : renforcement des difficultés économiques des agriculteurs et des ménages
Les conséquences d’une crise économique de grande ampleur seraient multiples, provoquant la faillite de nombreuses banques ou entreprises, et une paupérisation de la population. Les agriculteurs, qui appartiennent à la catégorie professionnelle au plus fort taux de pauvreté, sont particulièrement vulnérables à cet égard. Sur 100 euros d'achat alimentaire, seuls 6,5 euros reviennent à l'agriculture française. Hors subventions, la moitié des exploitations auraient un résultat négatif. Par ailleurs, les agriculteurs se sont massivement endettés ces dernières décennies, surtout pour les exploitations de grandes dimensions. L’augmentation des charges, la diminution des recettes ou des subventions provoqueraient de nombreuses faillites.
Du côté des consommateurs, la baisse des revenus des ménages renforcerait la précarité alimentaire. Celle-ci est déjà élevée en France : 8,8 millions de personnes vivent avec des revenus inférieurs à 1 000 euros par mois. Parmi elles, 4,8 millions bénéficient de l’aide alimentaire institutionnalisée (banques alimentaires, Restos du Cœur…).
Situations de crise : rupture d’approvisionnement en fournitures clés, mouvements sociaux, pénuries locales
Plus généralement, la raréfaction des facteurs de production - l’énergie et les ressources naturelles - risque d’entraîner l’économie mondiale dans une phase de récession structurelle. Localement, les conséquences peuvent être multiples et imprévisibles selon les réactions des acteurs économiques et la fragilité des réseaux d’interdépendance (acheteurs, fournisseurs…). Le système alimentaire pourrait être mis en difficulté de différentes manières. D’une part, les exploitations feraient face à des difficultés matérielles ou économiques pour accéder aux facteurs essentiels de production (outils, carburant, engrais, semences, produits phytosanitaires), suite aux difficultés économiques ou à la faillite de leurs fournisseurs. D’autre part, certaines infrastructures clés du système alimentaire (transport, transformation, distribution) pourraient être mises en défaut faute d’investissements, ou en répercussion aux crises sectorielles et sociales (grèves, blocages, destruction d’équipement) susceptibles d’éclater. Les crises agricoles peuvent causer des hausses brutales du cours des principales denrées alimentaires. L’augmentation des prix alimentaires est historiquement étroitement corrélée avec le développement de mouvements sociaux et de conflits civils (Figure 10).
Figure 10 : Indice des prix alimentaires et émeutes de la faim dans le monde ; le nombre de victimes est indiqué entre parenthèses pour chaque conflit. Source : Lagi et al. (2011).
Parcelle d’agriculture urbaine à la Havane, Cuba. Suite à la dislocation du bloc soviétique fin 1991, les « organoponicos » – ou potagers urbains biologiques – se sont multipliés dans les villes avec l’appui de l’État. Cuba, qui dépendait de l’URSS et d’autres pays pour l’importation de nombreux produits, s’est vue subitement privée d’environ 70 % de ses engrais de synthèse et pesticides, et sa consommation intérieure de pétrole a chuté de 20 %. En conséquence, la production agricole du pays – fortement industrialisée à l’époque – s’est effondrée de 45 %, et l’apport calorique moyen des habitants, d’un tiers, en l’espace de trois ans. De nombreuses carences nutritionnelles et maladies se sont développées. L’agriculture urbaine a permis de pallier partiellement à ces difficultés.Crédits : SuSanA, CC BY-SA, Wikimedia Commons.
Si notre société a déjà traversé plusieurs crises économiques sans pour autant connaître de graves pénuries, il faut considérer que les caractéristiques du système alimentaire dominant rendent aujourd’hui la situation strictement singulière : hyper-spécialisation des territoires et des acteurs, dépendance énergétique, distanciation des zones de production et de consommation, centralisation et intégration dans une économie mondiale sont autant de facteurs de vulnérabilité.
Voies de résilience : augmenter la population agricole, favoriser l’autonomie technique et énergétique des fermes, diversifier les variétés cultivées et développer l’autonomie en semences, évoluer vers une agriculture nourricière, développer des outils locaux de transformation, simplifier et raccourcir la logistique alimentaire