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Construire et financer un projet de résilience alimentaire

Le système alimentaire fait intervenir un grand nombre d'acteurs. Construire un projet de résilience alimentaire implique de se doter d'instances de gouvernance et de moyens financiers pour établir une stratégie s'inscrivant dans la durée. Quelques pistes sont présentées succinctement dans cette dernière partie. Elles seront approfondies dans une prochaine édition de ce rapport, enrichies d'initiatives déjà en cours ou à venir.

Gouvernance



La gouvernance est la manière dont les acteurs du système alimentaire s’organisent collectivement pour définir des objectifs, prendre des décisions, et bâtir un programme d'action efficace et concerté. Les intercommunalités occupent par leur échelle, leurs compétences et leur légitimité démocratique, une position privilégiée pour initier et coordonner un projet de résilience alimentaire local.

La première étape est alors de réunir un comité de pilotage recouvrant des compétences diverses : agronomie, urbanisme, santé, connaissance des problématiques de terrain et enjeux politiques et économiques locaux. Il est important de s’interroger sur la représentativité des acteurs identifiés et de leurs intérêts.

Le concept de « dialogue territorial » peut être mobilisé pour gérer les problématiques liées à la concertation ou à la médiation des conflits. Les collectivités peuvent s’inspirer des travaux se référant à cette notion pour mettre au point leur propre modèle de gouvernance et faciliter sa conduite.

Infographie du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation montrant les partenaires pouvant être impliqués dans un Projet Alimentaire Territorial (voir plus bas). Il en va de même pour un projet de résilience alimentaire. On pourrait également inclure les SAFER, les agences de l’eau, les entreprises et artisans de l’agro-fournitures (équipement, semences…), les acteurs de la gestion des déchets et du traitement de l’eau, les conseils de développement, etc.Crédits : Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.

Méthodologie



Une méthodologie inspirée du « Mode projet » proposé par l'International Urban Food Network peut être mise en oeuvre. Elle s'articule en cinq phases :

1. Définir le projet et constituer un comité de pilotage

Le but est de formaliser l’engagement de la collectivité et des acteurs du système alimentaire local. Des entretiens de cadrage permettent de faire émerger la vision des élu·e·s et agents territoriaux. Une cartographie des parties prenantes du projet alimentaire est réalisée afin de lister leurs compétences et de préciser leur positionnement. Cette phase doit conduire à la définition des grandes orientations du projet et de ses objectifs généraux. Un comité de pilotage est constitué pour mettre en oeuvre cette politique. La rédaction d’un accord cadre, signé par l’ensemble des partenaires, permet de formaliser cette étape.

2. Réaliser un diagnostic du système alimentaire territorial

Des indicateurs quantitatifs et qualitatifs sont sélectionnés afin de pouvoir mesurer régulièrement la distance à parcourir pour atteindre les objectifs généraux, et d’assurer un suivi des progrès réalisés. Ces indicateurs sont évalués au début afin de servir d'état de référence. Le présent rapport propose plusieurs indicateurs pour chaque maillon du système alimentaire, et plaide pour adopter une vision transversale du système alimentaire dès cette première étape.

3. Établir un plan d'action

Plusieurs étapes sont nécessaires pour établir un plan d’action :
- le recueil des idées et des besoins exprimés par les acteurs du territoire au regard du diagnostic établi ;
- l’élaboration et la validation d’une feuille de route, fixant des objectifs chiffrés et définis dans le temps ;
- la construction d’un programme pluriannuel d’actions réparties entre les acteurs concernés.

Mettre en oeuvre le plan d'action

La collectivité doit s’assurer que les différents partenaires du projet concrétisent leur engagement, que les moyens dont ils disposent sont suffisants, et que des solutions sont trouvées si des obstacles sont rencontrés.

Évaluer les actions mises en oeuvre

Il s'agit de reconduire le diagnostic aux échéances fixées par le document d'orientation politique, afin de vérifier que les objectifs ont été atteints, et, le cas échéant, d'engager des mesures correctives ad hoc.

Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (2014) Comment mener un projet territorial de développement de l’agriculture biologique ? Ce document destiné aux collectivités détaille la méthodologie indiquée ci-dessus dans le cadre du développement de l’agriculture biologique. De nombreux éléments sont applicables pour la conduite d’un projet de résilience alimentaire.

Financements



Deux volets distincts sont à financer dans le cadre d’un projet de résilience alimentaire :
- l'ingénierie de projet, généralement assurée par la collectivité, qui peut nécessiter un ou plusieurs recrutement : animation, pilotage, élaboration du diagnostic et de la stratégie…
- le programme d’actions proprement dit, dont certaines requièrent des dépenses d'investissement et/ou de fonctionnement. En dehors des ressources propres des collectivités, de nombreuses sources de financement peuvent être mobilisées ; seules quelques unes sont détaillés ici.

RnPAT (2018) Construire une stratégie de financement d’un projet alimentaire territorial.Un guide spécifiquement dédié à la question des financements mobilisables dans le cadre des PAT, avec de nombreuses fiches techniques détaillant chacun d’entre eux.

Collectivités territoriales

Les départements et les régions peuvent être des soutiens financiers importants, aussi bien pour les dépenses de fonctionnement que pour les investissements. De multiples possibilités existent en fonction des politiques portées par les Conseils départementaux et régionaux ; le plus simple est de se renseigner sur leurs sites internet ou directement auprès des chargés de missions agriculture et alimentation. Les collectivités territoriales peuvent également gérer certains programmes de financement ou dotations délégués par l’État :
- le Plan de Compétitivité et d’Adaptation des Exploitations agricoles (PCAE), délégué aux régions, finance les investissements des exploitations agricoles notamment pour l’acquisition de matériel et le développement de pratiques agroécologiques ;
- les Dotations de Soutien à l’Investissement Local (DSIL) et les Dotations d'Équipement des Territoires Ruraux (DETR), déléguées respectivement aux régions et aux départements, financent divers investissements liés au développement des territoires. Les enveloppes consacrées permettent de financer des projets à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros.

Grands programmes nationaux

Les appels à projets du Programme National pour l’Alimentation (PNA) sont la principale source de financement des Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) par le ministère. Les territoires lauréats reçoivent un financement de l'ordre de 40 000 euros, permettant par exemple de cofinancer un emploi à temps plein dédié à la coordination et l'ingénierie du PAT. Notons que le montant total des financements annuellement octroyés à l'échelle nationale par le ministère, est de l'ordre de un million d'euros, ce qui peut être jugé très faible au regard des enjeux considérés et des objectifs affichés.

La marque « Projet Alimentaire Territorial » certifiant la reconnaissance de ces projets par l’État.Les PAT sont des projets de territoire participant « à la consolidation de filières territorialisées et au développement de la consommation de produits issus de circuits courts, en particulier relevant de la production biologique ». De nombreuses ressources concernant les PAT peuvent être consultées sur le site du Réseau national des Projets Alimentaires Territoriaux.

Le Programme National Nutrition-Santé (PNNS) et le Plan National Santé Environnement (PNSE) sont également mobilisables pour les frais de fonctionnement et les actions en lien avec l’éducation nutritionnelle et la lutte contre la précarité alimentaire. Le Programme National de Développement Agricole et Rural (PNDAR), à destination des acteurs du développement agricole (Chambres d’agriculture, coopératives, instituts techniques), peut soutenir le déploiement de pratiques agroécologiques sur un territoire.

Agences publiques

Les agences de l’eau peuvent financer des actions visant à protéger les milieux aquatiques et la qualité de la ressource en eau : développement de l’agroécologie ou de l’agriculture biologique, diminution des besoins d’irrigation, recyclage des excrétats humains. L’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) accorde des aides spécifiques pour des actions de réduction du gaspillage alimentaire ou de développement de l’économie circulaire.

Banque des Territoires

La Banque des Territoires réunit tous les outils de la Caisse des Dépôts et Consignations au service du développement durable des territoires et de la lutte contre les fractures territoriales. Elle propose plusieurs solutions de financement sur ses fonds propres ou sous mandat de l’État, notamment dans le cadre des appels à projets du Programme Investissement d’Avenir (PIA) et du Grand Plan d’Investissement. Le soutien aux politiques alimentaires territoriales est en plein développement au sein de la Banque des Territoires. Près d’un tiers des 24 territoires lauréats du programme « Territoires d’innovation » du PIA (doté d’une enveloppe conséquente : 300 millions d’euros d’investissement et 150 millions d’euros de subventions sur dix ans) portent un projet de transformation territoriale en lien avec l’agriculture et l’alimentation. La Banque des Territoires peut aussi accompagner les collectivités sur ses fonds propres, à la fois dans l’élaboration d’une stratégie globale de résilience alimentaire (conseil, appui méthodologique) et dans la mise en œuvre des actions en intervenant comme investisseur. Elle encourage les projets à fort impact (atelier de transformation, plate-forme de distribution, tiers lieux dédiés à l’alimentation durable…), avec une offre adaptée à plusieurs tailles de projets et mêlant acteurs publics et privés.

Fonds européens

Le Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER) est un outil de financement inclus dans le « second pilier » de la Politique Agricole Commune (PAC). Il peut soutenir de nombreuses actions liées à un projet de résilience alimentaire territoriale. L’attribution des financements est gérée en France par les Conseils régionaux. Le Fonds Européen de Développement Régional (FEDR) et le Fonds Social Européen (FSE) sont deux autres sources de financements pouvant être mobilisées dans le cadre du développement territorial et notamment du soutien aux entreprises de l'Économie Sociale et Solidaire (ESS). Les Conseils régionaux en assurent la gestion.

Financements privés De nombreuses possibilités de financement existent auprès de fondations privées et autres mécènes. Le site Admical propose par exemple un outil de recherche pour trouver le mécène adapté à son projet. Voici quelques fondations régulièrement impliquées dans le financement de projets de transition agricole et alimentaire :
- Fondation de France
- Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme
- Fondation du Crédit Agricole
- Fondation du Crédit Coopératif
- Fondation Daniel & Nina Carasso

Sensibilisation et implication collective


Les transformations profondes à opérer nécessitent d’impliquer le plus largement possible la société civile afin de garantir la légitimité politique du projet, et de donner aux habitants les moyens d'en être acteurs.

Aménager des espaces de réflexion, de partage de connaissances et de débat avec les habitants – qu’ils soient parents d’élèves, retraités, propriétaires fonciers, agriculteurs ou commerçants – permet de construire un imaginaire commun, une base solide sur laquelle fonder le passage à l’action, et le soutien des politiques mises en oeuvre.

Il est alors efficace de :


- Se baser sur la programmation culturelle existante. Si votre ville organise une fête, une foire ou une animation culturelle régulière, il est opportun de construire des temps de sensibilisation autour de ces évènements, et ainsi de les ancrer dans la vie culturelle locale ;


- Multiplier les modes de communication et les formats. Des affiches dans la ville, des ateliers avec pignon sur rue, des réunions régulières dans des lieux identifiés ou des célébrations ponctuelles sont envisageables, en variant les lieux de rencontres et les horaires pour ne pas mobiliser toujours les mêmes habitants ;


- Co-organiser les temps de sensibilisation avec différents services municipaux (service à la culture, à l’éducation, CCAS, urbanisme...) et les acteurs locaux (associations, médiathèques, écoles, producteurs, artisans de l'alimentaire), afin de favoriser l'implication de ces derniers ;

Une communication honnête sur la vulnérabilité du système actuel et l’ampleur des changements à engager est un gage de sérieux pour les collectivités. Elles se positionnent ainsi comme des acteurs politiques lucides et responsables, qui face au constat souvent angoissant de la gravité de notre situation écologique proposent un projet cohérent et mobilisateur.

La commune de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), mène une politique alimentaire ambitieuse. Une régie agricole municipale en agriculture biologique fournit 85 % des légumes des cantines de la ville. De nombreuses actions de sensibilisation sont menées auprès de différents publics : ateliers de jardinage ou de cuisine, défi « familles à alimentation positive », parcours pédagogique en ville, activités en lien avec le Festival du Livre… La création d’une Maison d'Éducation à l’Alimentation Durable symbolise l’ouverture du projet à la population mouansoise. En savoir plus. Crédits : © Commune de Mouans-Sartoux.

Les monnaies locales complémentaires sont un très bon moyen d’encourager la relocalisation de l’économie et de sensibiliser la population à la vulnérabilité du système alimentaire actuel. Dans le Puy-de-Dôme, la Doume (photographie) est utilisée par plus d’un millier de citoyens et plus de 300 professionnels. Porté par une association engagée, son développement s’est accompagné de la mise en place d’une épicerie coopérative et d’un marché de producteurs. Crédits : © ADML63.

Plus généralement, les collectivités doivent prendre soin d’encourager et de valoriser les multiples initiatives citoyennes contribuant à une plus grande résilience alimentaire. La collaboration avec les conseils de développement est, à cet égard, tout à fait indiquée. D’autres outils comme les monnaies locales, le budget participatif ou des appels à projets spécifiques peuvent être mobilisés (création d’une Société Coopérative Civile Immobilière, animation de jardins partagés, ouverture d’une épicerie coopérative, etc.).

L’amélioration de la résilience alimentaire du territoire passe nécessairement par un travail renforcé sur la précarité alimentaire existante. Les populations les plus fragiles seront les premières touchées par les perturbations affectant le système alimentaire et/ou économique. Elles doivent donc être concernées au premier plan par l’élaboration d’un projet de résilience et y être associées de manière à pouvoir agir sur leur propre sécurité alimentaire présente et future.

Notons enfin que la sensibilisation des habitants à des pratiques de consommation « responsables » est à bien des égards incompatible avec le maintien de la publicité commerciale dans les espaces publics. La publicité incite en effet à l’adoption de comportements antagonistes à ceux visés dans le cadre d’un projet de résilience alimentaire :
- Elle favorise les enseignes de la grande distribution et de l'agro-industrie au détriment des circuits de distribution et des produits locaux ;
- Elle accorde une place centrale aux produits hyper-transformés et aux fast-foods ;
- Plus généralement, elle « crée » des besoins et incite à la surconsommation matérielle, elle-même responsable de l’aggravation des menaces qui pèsent sur nos sociétés.

Dans une déclaration d'urgence écologique factice, le mouvement Extinction Rebellion exhortait le Grand Lyon à mettre fin à la publicité commerciale dans l'espace public. La ville de Grenoble a déjà fait ce choix en 2014. La redevance publicitaire oscille généralement entre 0,1 % et 0,5 % du budget de fonctionnement des communes.Crédits : © Extinction Rebellion

Synthèse des outils et compétences à disposition des collectivités



Ce tableau rassemble la plupart des compétences réglementaires et des documents de planification à disposition des collectivités territoriales pour agir sur la résilience du système alimentaire local. Pour chaque voie de résilience, il complète les leviers d’action des communes et intercommunalités présentés plus haut, avec les outils à disposition des autres échelons d'organisation administratifs. On se référera aux parties précédentes pour comprendre comment les collectivité peuvent interagir avec les autres acteurs du système alimentaire : Chambres d’agriculture, coopératives agricoles, organismes de développement agricole et rural, petites et moyennes entreprises, associations, etc.

Tags : financement
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