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Voie de résilience n°6 : Évoluer vers une agriculture nourricière

Le paysage agricole français, très diversifié jusqu’à la première moitié du XXe siècle, pourvoyait à une grande partie des besoins alimentaires à l’échelle locale. Les régions agricoles sont aujourd’hui largement spécialisées. À l’échelle d’un bassin de vie, presque toute la production agricole est exportée, tandis que presque tous les aliments consommés sont importés. Relocaliser le système alimentaire pour renforcer sa résilience nécessite de développer une agriculture nourricière, donc diversifiée.

État des lieux



Une perte d'autonomie alimentaire à toutes les échelles



Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’objectif de souveraineté alimentaire nationale a incité au développement d'une politique agricole productiviste. L’essor des transports et du libre échange ont permis aux régions agricoles de se spécialiser. Certaines ont tiré profit de leurs spécificités climatiques et pédologiques (grandes plaines céréalières, terres viticoles) et d’autres se sont orientées en fonction des infrastructures existantes (commerce portuaire et élevage intensif en Bretagne par exemple). En ont résulté de vastes régions agricoles homogènes caractéristiques : la céréaliculture est aujourd’hui largement dominante dans le centre du bassin parisien, en Alsace ou en Aquitaine, tandis que l’ouest de la France, consacré à l’élevage intensif, alloue une place prédominante aux cultures fourragères et aux prairies temporaires. Cette rationalisation économique a engendré une distanciation continue entre les habitants et les terres qui les nourrissent, et donc une dépendance accrue aux infrastructures de transport et au pétrole.

Bien que la France puisse être considérée comme une grande puissance agricole du fait de ses importants excédents commerciaux pour certaines productions (céréales, produits animaux), on constate toutefois une perte d’autonomie alimentaire à toutes les échelles. L'objectif historique est donc loin d'être atteint.

À l’échelle de la ferme

Les exploitations familiales abritaient plus de la moitié de la population française jusqu’à la fin du XIXe siècle. La production, généralement en polyculture-élevage, assurait la majorité des besoins alimentaires du ménage. Aujourd’hui, les agriculteurs représentent moins de 3 % de la population active, et neuf exploitations sur dix sont spécialisées dans un seul type de production. Généralisée il y a un siècle, l’autoconsommation est devenue anecdotique.

À gauche : Ferme en polyculture-élevage (légumes, céréales, brebis), à Divajeu (Drôme). Les agriculteurs se nourrissent directement de leur travail, et écoulent leur production sur le marché de plein vent local. Généralisée il y a un siècle, l’autoconsommation est devenue très rare. À droite : Exploitation céréalière spécialisée, ne pourvoyant directement à aucun besoin alimentaire des agriculteurs, et exportant toute sa production en dehors du bassin de vie. Crédits : Les Greniers d’Abondance, CC BY-SA ; Pixabay.

À l’échelle du bassin de vie

La diversité du paysage agricole répondait à une grande partie des besoins alimentaires de la population en dehors des grandes agglomérations. Le transport de longue distance concernait principalement des produits de terroir tels que le vin et l’huile d’olive, ou permettait d’équilibrer les excédents et déficits régionaux pour les céréales et les produits laitiers. Les régions exportent aujourd’hui la quasi-totalité de leur production. Même dans les territoires conservant une certaine diversité agricole, tels que l’aire urbaine de Lyon, on observe que la grande majorité de la production est exportée, tandis que presque tous les aliments consommés sont importés !

À l’échelle nationale

40 % de la surface agricole française est au service des exportations, tandis que nos importations représentent l’équivalent de 30 % de la surface agricole française (Figure 22). La moitié des fruits et légumes consommés en France sont importés. Plus significatif encore, le pays a perdu l’essentiel de son autonomie en protéines végétales. Celles-ci correspondent au premier poste d’importation, en provenance principalement d’Amérique latine. La plupart des élevages français emploient donc des produits issus de cultures distantes de 10 000 km. Cette dépendance s’étend aux facteurs de production (voir voies de résilience 3, 4 et 11), ceux-ci étant majoritairement fournis par des multinationales au champ d’activité mondial.

Figure 22 : Répartition des importations et des exportations agricoles françaises brutes, en hectares par grandes catégories de denrées. La France est exportatrice nette de céréales et de produits animaux mais est déficitaire en fruits et légumes et en oléoprotéagineux. Crédits : © Solagro.

Le systèmes alimentaire actuel repose donc sur des fermes et des régions agricoles très fortement spécialisées, des filières d’approvisionnement mondiales pour la plupart des facteurs de production (voir voies de résilience n°3, n°4 et n°11) et de longs circuits de distribution (voir voie de résilience n°9). Les régions françaises, malgré leurs importantes productions agricoles, montrent une faible autonomie alimentaire. En tant que consommateurs, nos choix alimentaires sont entièrement déconnectés de la disponibilité géographique et saisonnière régionale.

Quels liens avec la résilience ?



Menaces associées : dégradation et artificialisation des sols, épuisement des ressources énergétiques et minières, instabilité économique et politique

La spécialisation des régions agricoles s’est traduit par une réduction de l’offre de produits locaux et une distanciation des producteurs et des consommateurs. Notre capacité à rassembler les aliments nécessaires à un régime équilibré repose dès lors sur des filières d’approvisionnement de plus en plus longues et complexes (voir voie de résilience n°9). Il en résulte une vulnérabilité directe face à l’épuisement des ressources pétrolières et aux risques de crise affectant les moyens de transports et/ou de communication : inondations, vieillissement des infrastructures, blocages politiques ou économiques...

Sur le plan environnemental, la spécialisation des exploitations et des territoires pose de nombreux problèmes écologiques, qui aggravent certaines menaces pesant sur la production agricole :
- l’éloignement des zones d’élevage et de culture diminue le recyclage des éléments minéraux (azote, phosphore, potassium...) issus des effluents d’élevage, et conduit ce faisant à un large gaspillage de ressources ainsi qu’à des pollutions de l’eau (nitrates, phosphates) et de l’air (ammoniac, oxydes nitreux) ; on observe dans les zones agricoles spécialisées une perte de biodiversité, liée au remplacement des prairies par des cultures annuelles, à la réduction de la diversité d’habitats, et à l’usage abondant des pesticides ;
- la concentration des cultures irriguées exacerbe les tensions sur l’eau ;
- la spécialisation s’accompagne d’une réduction du nombre d’espèces cultivées et d’un raccourcissement des rotations, qui engendre des difficultés à maîtriser les bioagresseurs ;
- la spécialisation, et particulièrement le raccourcissement des rotations, participe au plafonnement des rendements des grandes cultures observé aujourd’hui , ;
- de manière générale, les territoires spécialisés dans un faible nombre de productions sont plus vulnérables face aux aléas climatiques ou biologiques.

Diversifier les cultures garantit au contraire une meilleure résilience et une plus grande stabilité de la production globale.

La spécialisation agricole excessive s’oppose à la modularité du système alimentaire, c’est-à-dire à la possibilité de fonctionner en unités relativement autonomes. La modularité est un facteur de résilience important, permettant à la fois de mieux amortir les chocs, et de revenir plus rapidement à un état fonctionnel grâce à la coopération entre les territoires.

Transformations Nécessaires



Un projet de résilience alimentaire implique de retrouver une agriculture nourricière. Les territoires doivent se fixer des objectifs d’autonomie alimentaire pour différentes denrées de base. Cela implique de faire évoluer une partie de l’activité des exploitations vers la production de ces aliments et de relocaliser les facteurs de production. Il est également nécessaire de protéger et de valoriser les terres cultivables dans et à proximité des villes, tant pour de l’agriculture professionnelle que pour des productions familiales en volumes conséquents.

Openfields dans la champagne crayeuse. Relocaliser significativement la consommation est impossible, faute de productions suffisamment diverses. Crédits : © Yann Arthus-Bertrand.

Paysage agricole diversifié (céréales, pâtures, vergers traditionnels) sur le piémont nord des Vosges (Reinhardsmunster, Bas-Rhin). Un niveau élevé d’autoconsommation est possible à l’échelle du bassin de vie. Crédits : © Ministère de la Transition Écologique et Solidaire.

Leviers d’action



LEVIER 1 : Faire un diagnostic pour évaluer la capacité nourricière d’un territoire

La première étape pour améliorer son autonomie alimentaire à l’échelle d’une collectivité territoriale est de connaître la capacité de production locale, ainsi que les besoins de consommation des habitants. Un pré-diagnostic peut être réalisé à l’aide d’une simple comparaison entre les surfaces cultivées sur les terres de la collectivité et les besoins de la population correspondante. Une étude plus poussée des cultures à développer peut ensuite être réalisée, en tenant compte des spécificités géographiques du territoire.

L’outil PARCEL, développé par Terre de Liens, la FNAB et le BASIC permet d’estimer les surfaces nécessaires pour subvenir aux besoins alimentaires de la population d’un territoire. Très complet, il permet de mesurer les effets de certains paramètres, comme le régime alimentaire, sur l’empreinte agricole. Il renseigne également sur les conséquences attendues d’une plus grande autonomie alimentaire sur l’emploi et l’environnement.Essayer l’outil en ligne.

LEVIER 2 : Favoriser la diversification des productions agricoles du territoire Les producteurs en grandes cultures peuvent avantageusement allonger leurs rotations en y intégrant des légumes et légumineuses, et ainsi diversifier leur production. Des outils et infrastructures adaptés à ces cultures (semis, récolte, tri, stockage, transformation, etc..) et dimensionnés aux volumes attendus devront également être accessibles.

Pour accompagner cette diversification, les collectivités peuvent proposer ou identifier des débouchés, les qualifier, les quantifier, voire amorcer des pistes de contractualisation, de partenariat et de mise en relation de l’offre et de la demande. La construction de filières de commercialisation locales doit également être soutenue (voir voie de résilience n°9).

Cœur d’Essonne Agglomération porte le projet Sésame, qui vise notamment à atteindre une production correspondant à environ 10 % de la consommation globale et 50 % de la restauration collective des 210 000 habitants du territoire. Ce projet est lauréat de l’appel à projet Territoires d’innovation coordonné par la Caisse des Dépôts et Consignations. Crédits : © Cœur d’Essonne Agglomération

LEVIER 3 : Utiliser la commande publique en restauration collective pour soutenir certaines productions

La commande publique de la restauration collective peut introduire des critères pour rendre ses appels d’offre accessibles aux producteurs locaux (voir voie de résilience n°10). En leur garantissant ainsi des débouchés, les collectivités accompagnent l’évolution des itinéraires de production des exploitants : assolements, cultures prioritaires, variétés, calibres…

LEVIER 4 : Développer l’agriculture urbaine et périurbaine

Les villes et leurs périphéries sont des zones privilégiées pour des productions sur petites surfaces de fruits et légumes frais. La proximité immédiate entre producteurs et consommateurs permet de diminuer fortement les besoins en pétrole pour le transport. Limitée du point de vue strictement calorique, l’agriculture urbaine et périurbaine peut cependant jouer un rôle important dans la diversification alimentaire. Elle participe au dynamisme et à la qualité de vie des quartiers concernés, et permet de sensibiliser les citoyens aux enjeux de résilience alimentaire.

Certains projets d’agriculture urbaine « hors-sol », coûteux et difficilement généralisables, reposant sur des équipements sophistiqués, ne semblent toutefois pas à priori améliorer significativement la résilience alimentaire de la ville.

La ferme « Zone sensible » au cœur de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Cette ferme de un hectare est l’un des derniers vestiges de la vaste ceinture maraîchère qui approvisionnait Paris au cours du XIXe siècle. Rachetée par la commune de Saint-Denis pour la protéger de la pression immobilière, elle est aujourd’hui gérée par un maraîcher à temps plein et une association engagée dans des actions sociales, pédagogiques et artistiques. Crédits : © Parti Poétique.

LEVIER 5 : Encourager l’autoproduction par les citoyens

La production de fruits et légumes frais par les citoyens eux-mêmes peut jouer un rôle déterminant dans la résilience alimentaire d’un territoire. Elle sensibilise efficacement les habitants et joue un rôle social et économique important. Les collectivités peuvent mettre à disposition des terrains pour développer des jardins partagés, et organiser des ateliers de formation au jardinage.

Vue aérienne d'un quartier de Irkoutsk, ville la plus peuplée de Sibérie orientale située à proximité du lac Baïkal. Les collectifs de jardins se devinent parmi les forêts environnantes, au pied des immeubles soviétiques. En Russie, l’autoproduction de nourriture par la population citadine est très répandue. Chaque ville possède en son sein ou dans sa proche périphérie des espaces dédiés à des collectifs de jardins. Leur importance nourricière a pu être éprouvée lors de l’effondrement de l’URSS dans les années 1990, puisqu’ils fournirent alors entre 20 % et 30 % de l’approvisionnement alimentaire du pays. En plus de contribuer significativement à la production agricole, les jardins jouent un rôle majeur dans la diversification du régime alimentaire des populations urbaines : ils leur donnent accès à une alimentation riche en produits frais qu’elles ne pourraient pas toujours se procurer dans les circuits conventionnels, à cause de leur prix élevé. Crédits : © ESRI.

Bénéfices associés



La recherche d’une meilleure autonomie alimentaire permet de mieux maîtriser les conditions sociales et environnementales de la production alimentaire. En particulier, la dépendance à des filières longues rend complexe le contrôle des impacts environnementaux associés aux produits d’import.

Une politique de participation collective à la production alimentaire permet un accès à une alimentation de qualité au plus grand nombre, en particulier aux ménages les plus défavorisés. En Russie, où les collectifs de jardins occupent une place importante, on remarque que les collectifs :
- réduisent la dépendance des foyers modestes vis-à-vis de l’assistance sociale ;
- contribuent à la réinsertion des personnes en difficulté ;
- fortifient le lien social ;
- améliorent la santé et augmentent l’espérance de vie de leurs adeptes ;
- fournissent un lieu de loisir et de remise en forme abordable pour la majorité ;
- permettent de faire face aux vagues de chaleur de l’été continental, en minimisant l’effet d’îlot de chaleur urbain, et en offrant un lieu de vie adapté à la saison chaude.

Obstacles



Potentiel agricole du territoire

Tous les territoires ne se prêtent pas à toutes les productions agricoles, qui peuvent être plus ou moins bien adaptées au sol et au climat local. Les territoires difficiles comme les régions d’altitude doivent pouvoir bénéficier de la solidarité des régions naturellement plus favorables à des activités agricoles diversifiées. Cependant, la majorité de la population française vit dans des régions pouvant accueillir la plupart des productions de base.

Compétition entre les cultures

Les productions agricoles non nourricières (boissons alcoolisées) ou celles répondant aux cahiers des charges Appellation d’Origine Protégée (AOP) et Indication Géographique Protégée (IGP) peuvent avoir une valeur ajoutée importante (économiquement ou culturellement). Beaucoup de surfaces leur sont parfois allouées sur un même territoire. Il est avisé de développer au maximum la diversité agricole pour les surfaces restantes.

Pollutions urbaines

Les projets de production alimentaire en milieu urbain peuvent être freinés par la dégradation et la pollution des sols. Dans le cas de réhabilitation de friches industrielles par exemple, des études doivent être menées afin de garantir l’absence de risques sanitaires pour les futurs producteurs et consommateurs.

Indicateurs


- Adéquation entre besoins des habitants et production locale
- Surface de jardins familiaux par habitant
- État des lieux quantifié de l’origine des achats (département, départements limitrophes, France, Union Européenne) en restauration collective publique

Pour aller plus loin






Utopies (2017) L’autonomie alimentaire des villes.
Solagro (2016) Afterres2050. Scénario de prospective à l’échelle nationale pour une production agricole renforçant l’autonomie alimentaire du pays, réduisant fortement les émissions de gaz à effet de serre et contribuant à la production d’énergie renouvelable issue de la biomasse. Plusieurs déclinaisons d’Afterres2050 existent à l’échelle des territoires. Voir l’exemple pour le Grand Clermont et le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez.
Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (2014) Créer des jardins potagers collectifs « zéro phyto ». Une fiche pratique spécialement destinée aux collectivités avec méthodologie et retours d’expérience. Disponible sur la plate-forme DevLocalBio un ensemble de ressources très riche pouvant être consulté pour mener un projet de résilience alimentaire territoriale.

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