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Voie de résilience n°4 : Diversifier les variétés cultivées et développer l’autonomie en semences

La grande homogénéité génétique des variétés modernes les rend vulnérables face à des perturbations climatiques ou biologiques de plus en plus fréquentes. Les semences sont produites par des entreprises spécialisées, pour des pratiques agro-industrielles peu résilientes et sans prise en compte des spécificités territoriales. Face aux menaces globales, il est indispensable de développer un réseau local de sélection et de distribution de semences, afin de disposer de variétés diversifiées et adaptées au territoire.

État des lieux



Des variétés homogènes issues d’une filière concentrée



Des variétés populations aux variétés modernes

L’amélioration variétale a été l’un des piliers de la révolution verte. La production agricole française repose aujourd’hui sur l’utilisation de variétés génétiquement homogènes (lignées pures, clones, et hybrides F1). Au sein d’une variété homogène donnée, tous les individus sont génétiquement identiques, à quelques variations près. Ces variétés ont été sélectionnées :
- pour maximiser les rendements dans les conditions de culture propres à l’agriculture conventionnelle : utilisation importante d’engrais minéraux et de produits phytosanitaires, irrigation et mécanisation lourde ;
- pour optimiser la transformation, la distribution et la commercialisation des produits agricoles.

L’essor de ces variétés homogènes, s’il est un facteur majeur de l’augmentation des rendements au cours de la seconde moitié du XXe siècle, s’est fait au détriment des variétés populations utilisées auparavant, et a conduit à un appauvrissement de la biodiversité cultivée.

En 1912 en France, les variétés populations représentaient environ 57 % des cultures de blé tendre, contre 43 % pour les lignées pures. En 1950, les variétés populations n’étaient plus présentes que sur 8 % des surfaces. Si le nombre de variétés de blé tendre commercialisées a été multiplié par sept en un siècle, la diversité génétique réellement cultivée a quant à elle chuté de moitié (Figure 18). Cela s’explique à la fois par la grande proximité génétique des lignées pures modernes, et par la prépondérance d’un petit nombre d’entre elles, dites « élites », dans les surfaces cultivées.

Figure 18 : Évolution entre 1912 et 2006 en France, pour le blé tendre, du nombre de variétés et de la diversité cultivée globale. Cette dernière agrège des informations sur la diversité génétique entre les variétés et sur la répartition spatiale des variétés sur le territoire.Source : Les Greniers d’Abondance, d’après Goffaux et al. (2011).

Essais au champ de diverses variétés de blé tendre en agriculture biologique à l’INRA de Rennes (Ille-et-Vilaine). Crédits : © INRA, Hélène Navier.

Une filière concentrée géographiquement et économiquement

Les activités de création, de sélection et de multiplication variétale – traditionnellement effectuées par les paysans eux-mêmes – sont maintenant prises en charge par des organismes spécialisés, essentiellement privés. La réglementation actuelle renforce cette structure verticale et la logique industrielle de la filière semencière, car seules les variétés inscrites au catalogue officiel peuvent être commercialisées. L’inscription au catalogue est contraignante ; seules les variétés répondant aux tests dits DHS (Distinction, Homogénéité, Stabilité) et VATE (Valeur Agronomique, Technologique et Environnementale) sont éligibles.

La réutilisation par un agriculteur d’une partie de sa récolte en tant que semences – dites « de ferme » – est autorisée moyennant le paiement d’une « contribution volontaire obligatoire » à l’obtenteur de la variété en question. Cela n’a guère d’intérêt pour les variétés hybrides, dont les caractéristiques avantageuses sont naturellement diluées au cours de la reproduction.

L’amélioration des plantes cultivées se fait donc essentiellement de manière centralisée (la participation des agriculteurs étant limitée à des contrats de multiplication des semences) et sans lien avec les conditions de culture propres à chaque territoire (nature du sol, climat, bioagresseurs). La répartition hétérogène des activités de sélection et de multiplication des semences sur le territoire illustre ce manque de liens avec les conditions de culture locales (Figure 19).

Figure 19 : Répartition des emplois de la filière semences (activités de sélection et de production) dans les départements français. Source : GNIS (2017).

Le secteur semencier français est constitué de 62 groupes et entreprises indépendantes ayant une activité de sélection/production, auxquelles s’ajoutent 183 entreprises de production seule. Une poignée d’acteurs concentrent une part très majoritaire du marché : 16 groupes et entreprises concentrent 70 % du chiffre d’affaire global du secteur.

Un processus de sélection ciblé, long et complexe

La sélection de nouvelles variétés cherche généralement à répondre à un besoin précis : rendement, résistance à une maladie, intérêt nutritionnel ou industriel… Elle se fait la plupart du temps dans une logique réductionniste, par l’identification d’un ou plusieurs gènes d’intérêt et leur introduction (ou leur élimination) dans une variété cible.

La mise au point d’une nouvelle variété nécessite plusieurs étapes : croisement initial entre les parents retenus, fixation des caractères d’intérêts par sélection de la descendance sur plusieurs générations, expérimentation au champ, multiplication, et inscription au catalogue officiel. Il peut ainsi s’écouler une dizaine d’années entre le premier croisement et la mise sur le marché d’une nouvelle variété. Les techniques modernes de génie biologique permettent de réduire considérablement la durée de fixation des caractères et d’aboutir à une inscription au catalogue au bout de six ans.

Quels liens avec la résilience ?



Menaces associées : changement climatique, effondrement de la biodiversité sauvage et cultivée, épuisement des ressources énergétiques et minières, instabilité économique et politique

Si le fonctionnement de la filière semencière est adapté au système alimentaire industrialisé moderne, il répond mal aux exigences de résilience que les crises actuelles nous obligent à prendre en compte.

L’homogénéité génétique des variétés cultivées devient une vulnérabilité dans un environnement davantage propice aux perturbations climatiques ou biologiques (voir Effondrement de la biodiversité sauvage et cultivée). De manière générale, une plus grande diversité génétique au sein d’une parcelle permet une meilleure tolérance à différents stress, ainsi que des rendements plus stables,,,.

Les efforts de sélection actuels s’inscrivent majoritairement dans le cadre du modèle agricole intensif en intrants, issu de la révolution verte. Or des contraintes d’approvisionnement (physiques et/ou économiques) ou réglementaires sont à anticiper pour ces produits, en particulier pour les engrais minéraux et les pesticides. La sélection de variétés adaptées à ces pratiques bas intrants est encore anecdotique : sur les 349 variétés de blé tendre enregistrées au catalogue officiel français en 2019, seules cinq ont été spécifiquement développées dans les conditions de l’agriculture biologique.

L’organisation verticale et centralisée de la filière semencière ne permet pas la sélection régionalisée des variétés cultivées. Or, les conséquences du dérèglement climatique ne sont pas les mêmes d’un territoire à l’autre (aléas climatiques, déplacement des bioagresseurs…). Il est à cet égard difficile pour la filière actuelle d’apporter des réponses contrastées et adaptées aux problématiques locales. De plus, une perturbation économique touchant une grande entreprise semencière aurait des conséquences lourdes sur de nombreuses fermes.

Les méthodes de sélection variétale modernes ne permettent pas une adaptation rapide. La mise au point d’une nouvelle variété nécessite dans le meilleur des cas au moins cinq années de recherche et des technologies avancées de biologie moléculaire. L’approche réductionniste ne peut cibler l’ensemble des contraintes susceptibles d’affecter les cultures dans un contexte de perturbations rapides et multiples.

Enfin, les agriculteurs sont aujourd’hui dépossédés des savoirs techniques et des capacités réglementaires à assurer leur autonomie en semences, collectivement ou individuellement.

Objectifs



Un facteur de résilience majeur réside dans la diversification des variétés utilisées à l’échelle du territoire. L’objectif n’est pas de couvrir les surfaces agricoles de variétés populations, mais de favoriser autant que possible la diversité cultivée. Cela passe notamment par l’utilisation de différentes variétés (homogènes ou population) sur un ensemble de fermes, plutôt que par la prépondérance de quelques variétés « élites ». Les semences sélectionnées localement peuvent être aussi bien issues de variétés homogènes modernes, que de variétés populations traditionnelles, ou de lignées originales.

La mise à disposition de variétés appropriées nécessite la création de filières locales de sélection, de multiplication et de distribution de semences. Il s’agit de fédérer et de renforcer les initiatives existantes sur le territoire. Beaucoup d'agriculteurs considèrent que ce n'est pas leur métier, n'ont pas le temps ou l’envie de le faire, mais aimeraient pouvoir utiliser des semences locales adaptées à leur système. Le développement de filières impliquant à la fois les agriculteurs et les spécialistes de la sélection de variétés et de la multiplication de semences permet de répondre à cette attente, et aux enjeux de résilience et d’adaptabilité. Au vu de l’importance des arbres et arbustes dans les pratiques agroécologiques et l’aménagement de territoires résilients, les filières semencières de plantes vivaces (pépinières) doivent être elles aussi renforcées.

Leviers d’action



LEVIER 1 : Favoriser l’installation de semenciers professionnels sur le territoire

Les entreprises, agriculteurs sélectionneurs, et artisans spécialisés sont des maillons essentiels pour un réseau semencier local dynamique. Ils possèdent les ressources techniques et les connaissances pour créer et sélectionner de nouvelles variétés localement adaptées. Ils peuvent ensuite les diffuser largement sur le territoire. Les collectivités peuvent soutenir leur installation et leur activité en mettant des terres à disposition et en accompagnant l’installation et la commercialisation : formation, mise en réseau, achats de certaines productions comme les arbres d’alignement et arbustes de haies, etc.

Semences conditionnés par Union Bio Semences (Essonne), une entreprise spécialisée dans la production de semences destinées aux grandes cultures en agriculture biologique. Fondée par deux coopératives agricoles, elle a bénéficié du soutien de la régie Eau de Paris et de l’agence de l’eau Seine-Normandie. Ce site de production accompagne le développement de filières biologiques en Île de France.Crédits : © Union Bio Semences.

La marque « Végétal local », propriété de l’Agence Française pour la Biodiversité, encourage la production de semences et de plants issus de plantes sauvages, en particulier les arbustes pouvant participer à la restauration des haies. L’existence d’un réseau de formation et de rencontres permet de monter des filières locales associant pépiniéristes, agriculteurs et collectivités. En savoir plus.

LEVIER 2 : Soutenir et accompagner le développement des maisons des semences paysannes

Les maisons des semences paysannes sont des structures reliant des paysans sélectionneurs, des associations de conservation du patrimoine végétal et environnemental, des artisans semenciers et des chercheurs. Elles ont pour objectif la production de semences paysannes, la valorisation de variétés populations traditionnelles et la conservation de la biodiversité cultivée. Ces structures s’adaptent aux conditions du territoire et aux envies des personnes à l’origine des différents projets. Elles peuvent jouer un rôle majeur dans l’animation du réseau semencier local et le partage des innovations variétales.

L’animation d’un tel réseau est d’ailleurs un point de vigilance important. La coordination de nombreux acteurs différents (agriculteurs, semenciers professionnels, chercheurs, jardiniers…) sur des projets d’expérimentation et de sélection variétale multiples n’est pas simple. Des moyens humains suffisants doivent être alloués afin de mettre en place des systèmes d’organisation et d’échanges adaptés. Les collectivités peuvent aider en ce sens, en bénéficiant des conseils du Réseau Semences Paysannes.

L’association Triticum oeuvre à améliorer la résilience alimentaire autour de Rouen (Seine-Maritime). Elle a notamment une activité de Maison des Semences Paysannes dédiée aux variétés anciennes de blés. La métropole de Rouen apporte un soutien financier à ses actions, comme l’achat de matériel pour la récolte et le tri des semences.Crédits : Mae Mu, Unsplash et Triticum.

LEVIER 3 : Investir dans la recherche participative pour développer de nouvelles variétés adaptées aux conditions locales et aux besoins des agriculteurs

Pour obtenir des variétés locales intéressantes agronomiquement, la sélection participative décentralisée est une voie innovante et prometteuse. Elle repose sur la collaboration entre agriculteurs et chercheurs pour la mise au point de protocoles de sélection et d’indicateurs de performance. Les agriculteurs ont une grande autonomie dans le processus de sélection et tirent avantage de la mise en réseau. Ils peuvent ainsi obtenir des variétés adaptées à leurs conditions de culture et conservant leur potentiel évolutif.

Les collectivités peuvent encourager l’émergence de ce type de programme par un soutien humain, financier ou administratif (montage du projet, demandes de subventions).

Le programme de sélection participative PaysBlé a été mené en Bretagne entre 2009 et 2012 par l’association Triptolème (membre du Réseau Semences Paysannes) et l’unité de recherche Sad-Paysage de l’INRA de Rennes. Des variétés de blés adaptées à l’agriculture biologique et à la panification artisanale ont été sélectionnées à partir de variétés populations locales et de variétés modernes. La région Bretagne a financé ce programme de recherche. Photographie : visite d’une collection de variétés de blés de pays. Crédits : © Triptolème.

LEVIER 4 : Sensibiliser et former les agriculteurs L’utilisation de mélanges variétaux ou de semences paysannes peut nécessiter certaines adaptations des itinéraires techniques de culture. Des formations soulignant l’intérêt de ces pratiques pour la résilience des exploitations agricoles peuvent lever certains freins et idées reçues, sans minimiser les contraintes liées à leurs usages. Plus généralement, il est important de sensibiliser les agriculteurs à l’enjeu de la préservation et de l’évolution des ressources génétiques, et de faire valoir les intérêts d'une gestion collective.

LEVIER 5 : Structurer des filières de valorisation pour assurer des débouchés aux variétés locales

Les productions issues de semences paysannes sont moins facilement valorisables auprès des coopératives ; elles peuvent nécessiter des débouchés spécifiques. Pour certaines espèces les caractéristiques des productions récoltées ne sont pas conformes aux exigences de transformation ou de distribution de masse. Par exemple, pour le blé tendre, les farines ne sont pas adaptées aux procédés de la boulangerie industrielle. La collectivité peut soutenir le développement de filières de transformation et de distribution permettant la valorisation de ces productions locales, par exemple en adaptant les appels d’offre de la restauration collective ou en initiant la création de marques ou de labels spécifiques pour ces productions de terroir. Des exemples liés à la valorisation de produits de terroir sont développés dans la voie de résilience n°8.

La Fondation Slow Food pour la Biodiversité recense et soutient les initiatives de sauvegarde de variétés et de races de terroir. Sa base de données permet aux collectivités de prendre connaissance des filières existantes sur leur territoire et de s’en inspirer.Crédits : © International Potato Center.


Bénéfices associés



La sélection variétale est aujourd’hui l’un des principaux leviers pour améliorer les rendements dans des conditions de culture bas intrants. Délaissée par la majorité des grands groupes semenciers, elle peut être un atout majeur pour les structures qui s’en saisissent.

Le développement d’un réseau semencier territorial implique la création de nouveaux emplois durables : artisans semenciers, artisans transformateurs, animateurs de réseaux, conseillers spécialisés, etc.

Une plus grande diversité cultivée réduit les variations annuelles des rendements, permet de stabiliser les revenus de l’agriculteur, et limite les risques de calamité agricole. Elle améliore également la diversité alimentaire de la population.

Obstacles



Réglementation contraignante

Le principal obstacle au développement et au bon fonctionnement des filières semencières locales est d’ordre réglementaire. Il est en effet illégal pour un agriculteur de commercialiser des semences sélectionnées et produites sur son exploitation si ces dernières ne sont pas inscrites au catalogue. Des recherches participatives menées en collaboration avec des scientifiques, des centres techniques et des agriculteurs ont ainsi amené à la sélection de variétés populations intéressantes pour les agriculteurs, mais celles-ci n’ont pas pu être commercialisées ou valorisées au sein de leur territoire : ces variétés ne répondaient pas aux critères obligatoires pour l’inscription au Catalogue Officiel.

Indicateurs



- Diversité génétique au sein des grandes cultures
- Nombre de semenciers professionnels sur le territoire
- Nombre de variétés nouvellement créées et de variétés anciennes à nouveau cultivées sur le territoire
- Nombre de filières de valorisation de produits issus de variétés locales

Pour aller plus loin






Levrouw F. et Drochon L. (2014) Les Maisons de Semences Paysannes : regards sur la gestion collective de la biodiversité cultivée en France. Un document source d’inspiration qui résume les enjeux autour de l’utilisation des semences paysannes et de la biodiversité cultivée, et qui décrit les modes d’organisation de nombreuses maisons de semences paysannes.

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