Voie de résilience n°1 - Augmenter la population agricole
- 2020-02-01 09:34:30.0
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- agrculteurs, foncier, réseau agricole
Entre 1990 et 2018, la population active agricole a été divisée par deux. La profession, qui représente aujourd’hui moins de 3 % des actifs et 1 % de la population totale, est vieillissante et peine à se renouveler. La France comptera encore un quart d’agriculteurs en moins d’ici une dizaine d’années si rien n’est fait pour freiner la tendance, alors que la transition vers un système alimentaire résilient nécessite des fermes plus nombreuses et diversifiées, et des pratiques plus intensives en main d’oeuvre.
État des lieux
QUI CULTIVERA NOS TERRES?
Une profession en déclin, des fermes qui s’agrandissent
Avec environ 824 000 travailleurs agricoles réguliers en 2016, le secteur représente un actif sur trente en France, contre un sur six en 1970 et près d’un sur trois en 1950. 43 % des 564 000 exploitants agricoles et associés ont plus de 55 ans en 2016, et atteindront donc l’âge de retraite au cours de la prochaine décennie. Au rythme actuel d’installations, moins de la moitié de ces départs seront compensés, et c’est une diminution d'un quart du nombre d'agriculteurs qui se profile d’ici à 2030 (Figure 13).
Figure 13 : Évolution du nombre d’exploitations agricoles en France depuis 150 ans, et projection tendancielle pour la décennie 2020-2030 : un quart des exploitations risque de disparaître. Source : Les Greniers d’Abondance, d’après Duby et Wallon (1977) et Agreste (2019).
Quand une ferme n’est pas transmise, ses terres servent généralement à l’agrandissement d’une exploitation voisine. Chaque jour en France, ce sont en moyenne 22 exploitations qui ne sont pas transmises. Le nombre de fermes a ainsi chuté d’un tiers entre 2000 et 2016.
Vues aériennes de la commune de Bazoches-les-Gallerandes (Loiret) à la même échelle, en 1954 (gauche) et en 2016 (droite). Comme ailleurs dans la plaine de la Beauce, la population agricole a fortement diminué et les terres ont subi des remembrements successifs. Les petites parcelles, souvent inférieures à l’hectare, ont fusionné en de grands open fields de plusieurs dizaines ou centaines d’hectares. Crédits : IGN, Remonter le temps.
Cette évolution affecte en profondeur la structure et le fonctionnement des exploitations agricoles. La tendance est à la concentration des terres et du capital de production, qui va en général de pair avec une mécanisation accrue et une intensification des pratiques culturales. Les exploitations de plus de 100 hectares couvrent désormais les trois quarts du territoire agricole français (Figure 14).
Figure 14 : Distribution de la surface agricole nationale par taille d’exploitation, et évolution du taux de faire-valoir direct.En l’espace de vingt ans, la surface occupée par les exploitations de plus de 100 ha est passée de moins de 25 % à près de 60 %.Source : Léger-Bosch (2015).
L’installation et ses difficultés
Les fermes étaient auparavant majoritairement reprises par les descendants des exploitants. Aujourd’hui, les deux tiers des installations se font « hors cadre familial ». Cela confronte les organismes historiquement impliqués dans l’installation de nouveaux agriculteurs à de nouvelles problématiques. Le rôle des Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (SAFER) et des Chambres d’agriculture est de ce point de vue déterminant :
- Les SAFER sont des sociétés anonymes sans but lucratif, sous tutelle de l’État, de gestion du foncier rural. Leur objectif est notamment de favoriser l’installation des jeunes agriculteurs, de dynamiser l’économie agricole et forestière, de protéger les paysages et les terres agricoles et d’apporter des solutions foncières aux projets de développement local.
- En plus de leur rôle de représentation et de défense des intérêts du monde agricole, les Chambres d’agriculture ont des missions de service public déléguées par l’État. Parmi elles, la gestion des dossiers de création ou de cessation d'activité agricole et la coordination de l’ensemble des actions liées à l’installation, comme l’animation des Points Accueil Installation (PAI) ou des Centres d'Élaboration du Plan de Professionnalisation Personnalisé (CEPPP).
En savoir plus sur les SAFER
Si l’ensemble du monde agricole s’accorde sur l’impératif de renouveler la profession, des enjeux politiques contradictoires au sein des organismes de gestion entravent parfois leurs missions initiales. La Cour des Comptes remarquait ainsi en 2014 que seule une très faible partie des biens rétrocédés par la SAFER l’était à des jeunes agriculteurs, et ajoutait : « leur gestion reste très contrôlée par le monde agricole notamment le syndicat majoritaire, la FNSEA».
Le Répertoire Départ Installation – outil de recensement des projets de cession tenu à jour par les Chambres d’agriculture – ne consigne que les exploitants activement concernés par la transmission de leur ferme. Les ventes se concluent classiquement « entre voisins », et, faute de dossier concurrent déjà constitué, les SAFER n’usent que rarement de leur capacité de préemption. Lorsqu’elles interviennent (sur demande expresse d’une collectivité, d’une association ou d’un porteur de projets), les délais accordés par les comités d’attribution sont souvent insuffisants pour les porteurs de projets hors cadre familial.
La profession agricole est peu valorisée socialement et renvoie souvent l’image d’un métier difficile et peu rémunérateur. Malgré ces freins, les vocations persistent et des candidats à l’installation continuent de porter leurs projets. Ceux-ci se heurtent cependant aujourd’hui à plusieurs obstacles, en particulier pour les personnes – majoritaires – non issues du milieu agricole :
- Méconnaissance des propriétaires cédants, lesquels sont souvent plus enclins à céder leurs terres à leurs voisins ;
- Décalage entre le type de projet proposé et les fermes mises sur le marché. Les candidats portent souvent des projets diversifiés, nécessitant des surfaces réduites, et souhaitent rarement reprendre tels quels l’ensemble des outils de production de l’exploitation ;
-Valeur financière très élevée des fermes (foncier, cheptel, bâtiments, agroéquipements). Les exploitations actuelles sont souvent très capitalistiques donc inaccessibles à des candidats à la reprise (capacité d’emprunt insuffisante ou refus à l’endettement excessif à l’installation). En outre, lorsque la reprise implique de restructurer la ferme (changement d’activité, d’usage des terres ou des bâtiments) ou de mobiliser des capitaux, le projet de rachat est mis en défaut par la volonté du cédant de vendre rapidement ;
-Difficulté préalable d’identifier les débouchés commerciaux : c’est une condition importante pour faire valider son projet d’installation et pour pérenniser des installations non conventionnelles.
Quels liens avec la résilience ?
Menaces associées : effondrement de la biodiversité sauvage et cultivée, épuisement des ressources énergétiques et minières
Sans agriculteurs, impossible de viser la moindre autonomie alimentaire sur un territoire. Le nombre d’actifs agricoles est déjà très faible : au-delà du simple renouvellement, une augmentation dans l’absolu du nombre de paysans est essentielle pour faire évoluer les exploitations vers un modèle plus résilient. Cela apporterait plus de modularité dans le réseau agricole local, plus d’adaptabilité, une plus grande capacité de travail et donc une moindre dépendance aux énergies fossiles. La taille des fermes pourrait diminuer, facilitant la mise en place et l’entretien d’infrastructures à intérêt écosystémique et la diffusion des pratiques agroécologiques, plus intensives en main d’oeuvre.
Objectifs
Le nombre d’installations agricoles doit devenir supérieur au nombre de départs sur le territoire. Les exploitations cédées doivent chaque fois que possible être transmises à un ou plusieurs repreneurs. La profession doit également être attractive pour les salariés non exploitants et pour les personnes dont le travail agricole se combine à d’autres activités professionnelles.
Cela nécessite la mise au point d’une politique globale sur laquelle s’accordent pouvoirs publics et acteurs de la gestion foncière et de l’installation. Sa mise en oeuvre doit permettre :
- de donner une plus grande visibilité aux possibilités de reprises ;
d’accompagner les différentes parties lors des transmissions ;
- de faciliter la restructuration des fermes ;
- d’accéder aux outils de production pour les porteurs de projet dont les apports sont faibles ;
- d’accueillir des projets agricoles diversifiés, répondant aux enjeux de production nourricière et d’agroécologie (voir voies de résilience n°6 et n°7).
Leviers d’action
LEVIER 1 : Réaliser un diagnostic et une veille foncière sur les projets de cession
- Réaliser un diagnostic détaillé de la population active agricole : tranches d'âge, projets de départ, transmissibilité des exploitations : foncier en propre ou en fermage, bâtiments d’exploitation et d’habitation, etc. ;
- Améliorer le Répertoire Départ Installation pour qu’il recense plus de cédants et donne plus de détails sur les fermes. Ce répertoire est en effet non exhaustif et présente une vision figée des fermes à reprendre, sans considérer leur potentiel de restructuration;
- Construire un dispositif de suivi des porteurs de projets à la cession ou à l’installation, et des propriétaires fonciers non exploitants soucieux de permettre une installation. La réussite du dispositif dépend de la capacité à financer son animation sur la durée ;
- Conclure une convention de veille foncière avec la SAFER, qui a développé l’outil Vigifoncier pour informer de la vente de biens sur le territoire.
Sur le portail internet cartographique Vigifoncier, les collectivités accèdent à deux modules : la « veille foncière » permet l’information en temps réel des transactions foncières en cours, et « l’observatoire » regroupe des indicateurs sur les dynamiques foncières du territoire.
Le renouvellement des actifs agricoles est au cœur de l’action du Parc Naturel Régional (PNR) du Livradois-Forez, en Auvergne. Dès 2000, des diagnostics fonciers agricoles sont réalisés sur des cessations d’activités sans repreneur. Source : Terre de Liens (2018). Crédits : PNR du Livradois-Forez.
La communauté d’agglomération GrandAngoulême (Charente) a mené avec la Chambre d’agriculture de Charente des rencontres auprès des exploitants de plus de 57 ans (soit la moitié des agriculteurs), dans l’objectif de les sensibiliser aux enjeux de la transmission. Les élu·e·s locaux·ales ont été formé·e·s à ces questions, en tant que relais directs auprès des exploitants.
LEVIER 2 : Accompagner les transmissions en soutenant et regroupant les acteurs et réseaux locaux
Une fois les futurs cédants identifiés, ils doivent être mis en relation avec des repreneurs, pour préparer les transmissions. Plusieurs structures, telles que les Chambres d’agriculture (Points Accueil Installation) et les pôles InPACT locaux déploient des outils dédiés à cet accompagnement. Les collectivités peuvent relayer leurs initiatives, apporter un soutien technique ou financier, et fédérer ces acteurs. Les leviers à activer incluent :
- la rencontre de tous les agriculteurs proches de la retraite pour les sensibiliser aux enjeux de la transmission, avec des acteurs relais formés à la démarche ;
- l’organisation de « cafés installation-transmission » ou de portes ouvertes sur les exploitations ;
- un diagnostic de préparation de la transmission et un accompagnement à la cession. Il s’agit de porter attention aux souhaits des cédants (lieu de vie, questions financières, devenir de leur exploitation...) et de faciliter les démarches administratives et financières des repreneurs.
Les pôles InPACT (Initiatives Pour une Agriculture Citoyenne et Territoriale) regroupent de nombreux acteurs du développement agricole local. L’installation de nouveaux agriculteurs et la transmission des fermes est l’une de leurs activités majeures. Les collectivités peuvent soutenir leurs actions et les articuler avec celles des autres structures du monde agricole (Chambres, coopératives…).
L’association Abiosol rassemble plusieurs structures dans le but d’accompagner collectivement les porteurs de projet en agriculture biologique en Île-de-France : accès au foncier, espace-test, formations, mise en relation avec des professionnels, appui technique et administratif. Les collectivités peuvent informer ce groupement d’acteurs de leur volontarisme en matière d’installation agricole afin d’engager des projets communs.
LEVIER 3 : Mettre en réserve du foncier et donner la priorité systématique à l’installation
La mise en réserve de foncier permet d’allonger les délais de vente et de faciliter les installations. Il s’agit d’acquérir un bien pour une durée limitée avant de le rétrocéder à un candidat : porteur de projet, structure de propriété collective comme Terre de Liens, ou groupement foncier agricole. Les candidats ont ainsi le temps de consolider leur projet (emprunts, acquisition collective, parcours à l'installation, formation, etc.). Le stockage permet aussi dans certains cas de constituer une unité foncière suffisante pour une installation, à partir d’un parcellaire morcelé.
Pour mettre en réserve du foncier, les collectivités peuvent :
- établir une convention avec les SAFER, qui disposent d’un droit de préemption sur les terres agricoles ;
- user elles-mêmes d’un droit de préemption urbain (DPU) sur les zones urbaines et « à urbaniser » du Plan Local d’Urbanisme (PLU), et sur des secteurs spécifiques comme les périmètres de protection rapprochée de captage d’eau potable.
La mise en réserve de foncier se fait aujourd’hui sur des propriétés en vente. Elle est peu répandue pour les terres en fermage, qui constituent pourtant le mode de faire-valoir le plus répandu. Il est donc important d’élargir ces outils pour mettre en réserve les terres en fermage.
En Charente, la SCIC Terres en Chemin propose des outils pour mettre en réserve les terres agricoles quand un fermier part à la retraite. La SCIC prend le fermage des terres à la suite du fermier précédent, et les entretient en attendant de céder le bail. Crédits : © Terres en Chemin.
LEVIER 4 : Mettre à disposition le foncier disponible
- Réaliser un état des lieux du foncier public non bâti. Les collectivités déjà propriétaires de terres agricoles mises à disposition des agriculteurs avec un bail précaire ou commodat, peuvent faire évoluer ces baux en Bail Rural Environnemental (BRE), et y installer progressivement des porteurs de projets en circuits courts. Les agences de l’eau peuvent être partenaires : installer un agriculteur bio au-dessus d’une zone de captage d’eau réduit efficacement les pollutions.
- Réaliser un inventaire détaillé des parcelles pour identifier les terrains communaux propices à une activité professionnelle (propriété publique ou privée, possibilités d’irrigation, qualité agronomique du sol, accès), ou à l’agriculture non professionnelle (jardins familiaux, jardins partagés…). Un tel diagnostic peut être confié à la SAFER.
- Les terres en friche peuvent être reconquises par application de la procédure de « biens vacants et sans maître », qui permet d’intégrer des biens « abandonnés » dans le patrimoine communal.
LEVIER 5 : Acquérir du foncier en propre
Lorsque la collectivité ne possède pas de foncier agricole, l’acquisition de terres est un premier pas témoignant de son engagement. Elle peut s’associer à la société civile au sein d’une société coopérative civile immobilière (SCCI), ou prendre des parts dans une foncière telle que Terre de Liens. Elle peut sensibiliser les habitants à l’utilité de ce type d’épargne.
Sur l’Île d’Yeu (Vendée), la Société Coopérative Civile Immobilière (SCCI) Terres Islaises offre l’opportunité à toute personne physique ou morale de devenir co-propriétaire et co-gérante de terres et de bâtis agricoles par l’acquisition de parts sociales. Crédits : © Terres Islaises.
LEVIER 6 : Développer le test d’activités
Les espaces-test agricole sont des outils visant à faciliter la création d’une entreprise agricole par des porteurs de projet souvent non issus du monde agricole. Ils mettent à disposition des candidats un cadre légal d’exercice, des moyens de production (foncier, matériel, bâtiments) et un dispositif d’accompagnement technique et administratif. Ils peuvent être mis en place par les collectivités sur des sites éphémères ou permanents, ou par des agriculteurs sur une petite portion de leurs terres.
Pour faciliter l’installation, les collectivités peuvent mettre en relation les porteurs de projet avec des gestionnaires de cantines ou des intermédiaires et commerces locaux pour leur fournir des débouchés. Elles peuvent aussi pratiquer le dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour les jeunes agriculteurs.
Bénéfices associés
Le renouvellement de la population agricole, l’accueil de personnes non issues de ce milieu et le partage du foncier, favorisent la diversité des cultures et des pratiques, ainsi que la qualité des paysages. Cela augmente l’offre alimentaire sur le territoire et les possibilités de relocaliser la consommation.
Plus généralement, le dynamisme et la vie locale du territoire s’en trouvent améliorés.
Obstacles
Conflits politiques
Les organes de décision au sein des SAFER et des Chambres d’agriculture incluent différents représentants du secteur agricole et du monde rural. Ceux-ci peuvent défendre des intérêts privés, des plans de développement ou des visions de l’agriculture opposés au projet de résilience alimentaire porté par des collectivités
Logement des agriculteurs
L’accès à un logement décent pose aujourd’hui des difficultés aux paysans qui s’installent. Les agriculteurs qui partent à la retraite conservent parfois leur habitat sur l’exploitation. La recherche de logement à proximité de l’installation est souvent difficile. Des formes d’habitat léger se développent alors sur les fermes dans des conditions souvent précaires au regard de la législation. Face à ces problèmes, les élu·e·s locaux·ales ont un rôle important à jouer pour favoriser l’accès au logement en milieu rural : logements communaux, logements passerelles, hameaux agricoles…
Acceptabilité par les propriétaires
Une forte communication de la collectivité sur une politique foncière très volontariste et notamment d’acquisition peut fragiliser le dialogue avec la profession agricole, selon la vigueur du sentiment de propriété privée, d’héritages agricoles de la région…
Indicateurs
- Évolution de la population agricole
- Âge moyen des agriculteurs sur le territoire
- Évolution du nombre d’exploitations agricoles