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Résilience alimentaire et collectivités territoriales

Qu’est-ce que la résilience ?



Les leviers d’action proposés dans ce rapport visent avant tout à anticiper et réduire les risques liés aux dégradations de fond, ce qui en retour diminue la vulnérabilité du système alimentaire face aux situations de crise. Ces actions et transformations cherchent à s’inscrire dans une « stratégie sans regret », c’est-à-dire qu’elles sont bénéfiques indépendamment du type et de la temporalité des crises traversées.

La résilience alimentaire

Face à la diversité des menaces à prendre en compte, il semble pertinent de mobiliser le concept de résilience. Utilisé dans plusieurs champs disciplinaires depuis les années 1960 (écologie, mécanique, sociologie, psychologie…), le terme rencontre un succès grandissant dans l’élaboration des stratégies de gestion des risques à toutes les échelles : intergouvernementale, nationale, territoriale. Si trouver une définition formelle et consensuelle n’est pas simple, on entend généralement par résilience la capacité d’un système à maintenir ou retrouver ses fonctions essentielles lorsqu’il est soumis à une perturbation.

La résilience des systèmes alimentaires – ou résilience alimentaire – peut se définir comme la capacité d’un système alimentaire et de ses éléments constitutifs à garantir la sécurité alimentaire au cours du temps, malgré des perturbations variées et non prévues (Figure 11). La sécurité alimentaire d’un territoire est assurée lorsque « tous ses habitants ont à tout moment la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ».

Figure 11 : Visualisation théorique de la résilience alimentaire et de quatre de ses composantes. Source : Les Greniers d’Abondance, d’après Tendall et al. (2015).

Les changements qu'implique une meilleure résilience peuvent donner lieu à des interprétations antagonistes – entre transformation radicale du système et renforcement du statu quo. Il est donc important de préciser le cadre conceptuel de la résilience alimentaire retenu pour ce rapport.

1. Le système alimentaire actuel est intrinsèquement peu résilient : peu diversifié, dépendant de ressources qui s’épuisent, construit pour la maximisation à court terme de la production. Il participe par ailleurs lui-même à l’aggravation des menaces précédemment décrites. La poursuite des tendances historiques ne ferait qu’accentuer sa vulnérabilité. L’objectif de résilience n’implique donc absolument pas de renforcer les structures du système alimentaire en l’état ; il nécessite au contraire sa transformation profonde.

2. La résilience est un paramètre dynamique. La question n’est pas de savoir si un système alimentaire est résilient ou non, mais d’évaluer son niveau de résilience face à divers types de perturbations. Ce niveau évolue au gré des perturbations rencontrées et des réponses apportées.

3. La résilience n’est pas un critère suffisant pour rendre un système alimentaire souhaitable. Il est facile d’imaginer des systèmes à la fois très résilients et socialement défaillants, reposant sur diverses formes d’inégalités et d’exploitations. La recherche d’une meilleure résilience ne se substitue pas à l’impératif de « soutenabilité », ni à un objectif éthique de justice et d'équité.

Les critères de résilience

Plusieurs travaux théoriques et empiriques ont permis de proposer quelques critères de résilience des systèmes alimentaires,. On peut par exemple citer :
- la diversité à tous les niveaux, que ce soit celle des productions, des variétés, des pratiques culturales, de la vie sauvage, des acteurs et de leurs interactions… Face à des perturbations multiples et imprévisibles, une plus grande diversité rend le système plus robuste en augmentant les chances que certains maillons résistent mieux. Elle permet aussi une plus grande adaptabilité, par sélection des structures et des pratiques les plus efficaces à mesure que le contexte évolue ;
- l’autonomie du territoire, c’est-à-dire la possibilité pour les fermes de disposer localement de leurs facteurs de production, de commercialiser et transformer leurs produits sur le territoire, et pour les habitants de subvenir localement à leurs besoins de base. C’est ce que l’on entend par « reterritorialisation » ou « subsidiarité » du système alimentaire ;
- la modularité et la connectivité du système alimentaire, autrement dit son fonctionnement en unités (jardins, fermes, intercommunalités, régions…) relativement autonomes mais pouvant se soutenir mutuellement. En cas de perturbation, celle-ci se propage plus difficilement et l’unité touchée peut rapidement être aidée par les unités voisines ;
- la redondance, ou le fait qu’une même fonction soit assurée par plusieurs éléments indépendants du système ;
- la cohésion des acteurs, qui facilite la solidarité, l’implication collective, les prises de décision, la flexibilité des interactions, le développement d’alternatives et l’évolution du système.

Une approche systémique des problèmes

Les menaces qui pèsent sur le système alimentaire sont multiformes, et touchent divers maillons à différentes échelles spatiales et temporelles. Chacune d’elles a le potentiel d’affecter l’ensemble du système, et leur combinaison peut avoir des répercussions plus graves encore. Faire l’impasse sur une menace – en focalisant par exemple l’effort de travail sur le changement climatique, tout en négligeant la problématique énergétique – c’est risquer de rendre caduques l’ensemble des efforts déployés. Il en est de même en ne travaillant que sur un maillon du système alimentaire (production, distribution…), alors que tous sont essentiels au bon fonctionnement de l’ensemble du système. L’approche systémique développée ici se distingue du traitement « en silo » des problématiques, c’est-à-dire indépendamment les unes des autres, comme des entités hermétiques. Elle propose un cadre d’analyse général des différentes composantes du système alimentaire, de la diversité des menaces auxquelles elles font face, et des interactions existant entre ces éléments. Cette approche est adaptée pour renforcer la cohérence des politiques publiques en matière de résilience alimentaire.

Les collectivités : une échelle d’action pertinente



Le développement des politiques alimentaires

On assiste aujourd’hui en France à un renouveau de l’intérêt politique pour la question alimentaire. Des projets visant à faire évoluer le modèle dominant, ou à s’en émanciper, émergent aux échelles nationale (états généraux de l’alimentation et loi EGalim), territoriale (projets alimentaires territoriaux) et locale (restauration collective, circuits courts), avec dans la plupart des cas une mobilisation citoyenne forte (CIVAM, ADEAR, AMAP, Terre de Liens, etc.). De nombreux exemples témoignent en France du volontarisme de certaines communes en matière de transition écologique, et des impacts concrets de leurs politiques. Toutefois, les élu·e·s ne perçoivent pas toujours le rôle moteur que peuvent jouer les pouvoirs publics dans la transition. L’état des lieux du système alimentaire dressé dans ce rapport révèle l’insuffisance générale des politiques mises en oeuvre pour nous préparer aux menaces identifiées. Au cœur des politiques publiques locales jusqu’à la révolution industrielle, l’approvisionnement en nourriture a progressivement été délégué de manière informelle aux acteurs privés : agriculteurs, coopératives, entreprises de transformation et de distribution… La sécurité alimentaire de la population française se situe aujourd’hui hors du champ de la responsabilité publique. Les dispositifs légaux existants ont des approches sectorielles (foncier, droit commercial, sécurité sanitaire), ou se limitent à la gestion des situations de crise. À l’échelle territoriale, des sénateurs observent que : « si les plans d’urgence dits ORSEC ont prouvé leur efficience sur des périodes courtes de quelques jours, [...] ils ne pourraient pas répondre aux besoins de la population sur une temporalité plus longue et des territoires plus vastes ».

Le pouvoir des collectivités

Les collectivités territoriales (Figure 12), en particulier les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), bénéficient aujourd’hui de plusieurs compétences leur permettant d’agir directement et indirectement sur chaque maillon du système alimentaire local :
- planification et aménagement urbain ;
- développement économique et agricole ;
- restauration collective ;
- collecte, gestion et prévention des déchets ;
- gestion du grand cycle de l’eau et environnement
; - distribution publique de l’eau potable ;
- politique d’assainissement ;
- plan communal de sauvegarde ;
- enfin, la clause générale de compétence (CGC) confère une capacité d'initiative aux communes au-delà des domaines de compétences qui leur sont strictement attribués par le droit en vigueur, sur le fondement de l’intérêt territorial en la matière.

Figure 12 : Les collectivités territoriales en France. EPCI : Établissement Public de Coopération Intercommunale. Source : Les Greniers d’Abondance.

Un inventaire des outils et compétences réglementaires à disposition des collectivités, pour agir sur chaque maillon du système alimentaire, est présenté à la fin de ce rapport (voir Construire et financer un projet de résilience alimentaire).

Les communes et intercommunalités occupent ainsi une position privilégiée pour concevoir et fédérer les acteurs locaux autour d’un projet de résilience alimentaire territorial.

Carte des intercommunalités françaises au 1er janvier 2020.On recense 22 métropoles (dont celle de Lyon, au statut particulier), 14 communautés urbaines, 222 communautés d'agglomération et 997 communautés de communes. Source : DGCL (2020) © IGN Tous droits réservés.

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